Il est important de refaire les katas de la même façon qu’ils se transmettent de génération en génération. Mais lorsqu’on atteint un certain niveau, il faut penser autrement. Il faut voir ce que la technique peut nous enseigner et surtout il faut comprendre les rouages qui font fonctionner la technique.
Prenons un kata comme koku, un kata que tout le monde connaît bien dans le Bujinkan. On fait un bloc, on contre-attaque d’un shuto au bras, on se défend d’un coup de pied à l’aide de notre jambe et on termine d’un boshiken dans le dos de l’attaquant. Imiter la façon de faire du kata est facile. Un bon danseur qui n’aurait jamais fait d’arts martiaux peut le faire en quelques minutes. Mais limiter le kata à une simple chorégraphie nous empêche de voir la vraie beauté de cette technique.
On a tendance à oublier que le gyokko ryu repose sur trois principes importants. Le premier Fūsui 風水 utilise le kanji du vent et de l’eau. On peut interpréter cela comme étant l’alternance de ces deux éléments dans la technique. La maîtrise de ces deux éléments nous amène à pouvoir bouger librement dans l’espace de uke et dans l’espace qui se trouve autour des deux combattants. J’ai déjà vu ces kanjis traduits par psychologie environnementale, et j’avoue que j’aime cette explication même si les kanjis sont ceux du vent et de l’eau.
Le second principe est Jūryoku 重力 et peut se traduire par gravité où si vous préférez, par l’utilisation du poids du corps. Les Occidentaux ont souvent l’habitude de faire des arts martiaux avec le haut du corps alors que les Asiatiques utilisent leurs jambes.
En troisième, nous retrouvons Jiryoku 磁力 qui se traduit par magnétisme. Cela implique probablement les différents jeux de tension entre les combattants et également dans la façon d’utiliser notre propre corps. Ce magnétisme nous permet d’être attirés ou repoussés afin d’utiliser la distance adéquate de notre adversaire lors d’un combat. Le jeu de tension nous permet de contrôler le corps de uke avec certains contacts à des endroits bien précis. Oguri sensei nous avait enseigné différentes manières de contrôler le corps entier de uke à l’aide d’un seul point de contact. En comprenant le jeu d’alignement des os, en maîtrisant un peu les jeux de tensions musculaires de uke, on peut arriver à le contrôler sans avoir à utiliser de force physique.
Revenons à koku. Au moment où l’adversaire nous attaque, nous utilisons l’eau comme élément défensif. Nous absorbons l’attaque et l’avance de uke nous donne l’information sur la distance qu’il faut reculer pour absorber l’attaque de façon sécuritaire. À la façon d’un aimant qui nous repousse, notre corps doit réagir instinctivement sans passer par l’intellect. Nous enchaînons ensuite avec un shuto sur son bras. Si le shuto se donne en poussant le bras, uke aura tendance à donner un kick de la jambe gauche plutôt que de la droite comme le dicte le kata. Nous venons de perdre le contrôle de uke. Mais si nous donnons notre shuto un peu plus vers le bas, en utilisant tout le poids de notre corps vers le bas, uke s’inclinera vers l’avant et son réflexe sera de faire un pas chassé pour donner un kick de la droite. Ouf, nous revenons au kata du manuel.
Au moment où uke donne le kick, nous pivotons nos épaules en un mouvement circulaire, soit un mouvement vent pour rediriger uke afin qu’il nous présente son dos. Puis comme notre jambe doit se reposer au sol, nous utilisons la gravité pour avoir plus de puissance sur notre boshiken. Bien sûr, pour rediriger le kick de uke nous utilisons notre jambe gauche et non la droite comme on le voit souvent. Cela amplifie notre mouvement vent et nous donne plus de vitesse pour esquiver.
Bien sûr, avec ce simple kata je peux rajouter des couches basées sur les trois principes. Mais déjà, juste le fait de s’amuser à voir ces principes dans les techniques, cela nous apporte une vision différente des katas. En montant en grade, le pratiquant doit cesser de se contenter d’imiter la technique, il doit s’efforcer d’en voir les différents rouages et de voir comment il peut adapter ces concepts pour rendre le kata opérationnel en situation moderne réelle. S’amuser à refaire les katas du gyokko ryu en tenant compte de ces trois principes, c’est redécouvrir la richesse de ce style.
Bernard Grégoire
Daishihan Bujinkan Québec