Les arts martiaux ne sont pas un produit comme les autres. Si tout le monde s’accorde pour dire qu’on ne peut confondre des pommes et des oranges, il en va tout autrement dans le budo.
Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’accueillir de nouveaux étudiants qui me demandaient s’ils pouvaient avoir une ceinture noire dans le style que j’enseignais compte tenu de leurs antécédents martiaux. Par exemple, l’un d’entre eux qui possédait une ceinture noire en aïkido et en karaté m’avait demandé cette fameuse ceinture qui semble si importante aux yeux de plusieurs. Malheureusement, je ne vends pas des objets de collection. Suite à mon refus, dans la semaine qui a suivi, cet étudiant abandonnait les cours. Visiblement, on ne partageait pas la même philosophie martiale.
Certains styles sont très près l’un de l’autre. Mais dans la plupart des cas, avant de donner une ceinture noire sans compromis, l’instructeur met à l’essai le nouvel étudiant pour quelques mois. Mais lorsque les styles sont éloignés et qu’il y a peu de ressemblance, on ne peut qu’octroyer un tel niveau que pour des raisons pécuniaires. Et, lorsque l’on en est rendu là, je pense que la philosophie que nous enseigne le budo est rendue loin derrière.
Un jour, un individu est venu me voir. Il m’a dit qu’il était godan (5e dan), dans un style que je ne connaissais pas. Mon intuition m’avait amené à lui demander d’où venait ce style. Il en était le fondateur. Il me proposait une ceinture noire si j’acceptais d’enseigner son style. Naturellement, j’ai refusé. L’incompréhension se lisait sur son visage, il ne comprenait pas que quelqu’un décline un tel honneur. À l’époque, j’avais animé quelques saisons de télé sur les arts martiaux. Il désirait simplement utiliser ma réputation pour donner de la crédibilité à son style.
J’ai également rencontré des gens qui collectionnaient les ceintures orange à marron dans un grand nombre de styles sans jamais avoir réussi à obtenir le degré de shodan. Ces gens étaient persuadés que cette accumulation de connaissance diverse équivalait à une ceinture noire. Désolé, mais pas chez nous.
Lorsque j’ai débuté dans le Bujinkan, une grande partie des participants étaient déjà ceintures noires dans différents styles. Plusieurs essayaient de mélanger les deux arts ce qui était à mon avis une grande erreur. Personnellement, je m’efforçais de séparer mon karaté de ce nouveau style où j’étais novice. Lorsque l’on s’initie à un nouvel art martial et que l’on désire afficher notre expérience, ce n’est pas le budo qui s’exprime, c’est notre égo.
Je suis un professeur choyé. Présentement, j’ai plusieurs étudiants qui sont ceintures noires dans d’autres styles, mais aucun, dans notre dojo, n’essaie de démontrer leurs capacités d’antan. C’est un signe de confiance en soi et de maturité martiale. Ils ne sont pas constamment en train de comparer nos techniques avec celles qu’ils ont apprises auparavant. Dans le budo, s’il y a une chose que l’on ne doit jamais oublier, c’est que l’on est étudiant toute notre vie. Enseigner, ce n’est que réapprendre une deuxième fois.
Bernard Grégoire
Daishihan Bujinkan Québec